mardi 10 juillet 2012

Poignée de main entre la Reine et McGuinness Autopsie d’une rencontre


La semaine dernière, les machines à propagande républicaine et britannique ont imposé une vision unique de la poignée de mains entre Martin McGuinness, ancien haut commandant de l’IRA, et la Reine Élizabeth II. « Poignée de mains historique » ont clamée les uns, « un grand geste pour la réconciliation » ont entonné les autres. Le guerrier qui est devenu « apôtre de la paix » serrant la main de la représentante de ce qui fut autrefois l’ennemi juré. Une nouvelle ère vient de commencer si on se fie à tous ces « faiseurs d’opinions ». Cependant, cette poignée de main ne symbolise qu’une chose : l’échec du mouvement républicain. Martin McGuinness n’assistait pas à cette rencontre en tant que chef d’État d’une Irlande unie, mais bien en tant que sujet de Sa Majesté, vice-président du parlement de Stormont et représentant d’un pouvoir qu’il a essayé de détruire durant l’essentiel de sa vie adulte. D’ailleurs, McGuinness n’a pas posé ce geste pour sceller la réconciliation entre catholiques et protestants, mais bien pour courtiser les électeurs de la République d’Irlande qui avaient très mal accueilli la manifestation organisée par le Sinn Féin, l’aile politique de l’IRA, en protestation à la visite de la Reine à Dublin l’an dernier. 

Faire ce constat va évidemment à l’encontre de la nouvelle orthodoxie dominante. Actuellement, il est impossible de poser un regard critique sur le processus de paix en Irlande du Nord sans se faire associer aux partisans de la lutte armée. On est partisan des accords de paix ou on est pour la violence. Comme au temps de George W. Bush, il faut choisir son camp. Pourtant, il existe en Irlande du Nord de nombreux républicains qui ont depuis longtemps renoncé à la lutte armée et qui résistent au révisionnisme qui s’est imposé concernant l’origine du conflit nord-irlandais et les accords de paix. Comme le souligne Anthony McIntyre, ancien membre de l’IRA  et l’un des principaux porte-parole des opposants aux accords de paix : « ce que nous n’aimons pas dans le processus de paix, ce n’est pas la paix, mais le processus ».  

Voyons pourquoi cette poignée de main ne fait pas l’unanimité en Irlande du Nord et pas seulement chez les quelques partisans de la lutte armée.   Elle n’est, en réalité, que l’aboutissement logique et inévitable des Accords du Vendredi saint de 1998.   En 1969, le gouvernement britannique s'est vu contraint d’envoyer l’armée en Irlande du Nord afin de mettre fin aux affrontements entre catholiques et protestants provoqués par le refus du gouvernement nord-irlandais de réformer l’état. En refusant d’abolir le parlement de Stormont, les Britanniques avaient choisi le statu quo en faveur des protestants. Après le Bloody Sunday, cependant, le statu quo n’était plus défendable.   Les Britanniques se résignèrent donc à supprimer le parlement de Stormont et à gouverner directement l’Irlande du Nord.   Rapidement, ils proposèrent leur solution politique au conflit. Lors des négociations tenues à Sunningdale en 1973 avec les partis politiques modérés catholiques et protestants, ils instaurèrent le partage des pouvoirs entre catholiques et protestants. Dès le début des négociations, les Britanniques indiquèrent qu’aucune solution n’était possible sans que soit reconnue leur autorité sur la région, la légitimité de la frontière et le véto protestant au sujet de la réunification de l’île.  Cette position nie la légitimité des revendications républicaines. Une position, d’ailleurs, que  les Britanniques allaient une fois de plus défendre lors des négociations de paix au cours des années 1990.   

Exclure les radicaux des discussions s’avéra une erreur couteuse, le nouveau parlement ne dura pas plus de six mois. L’IRA refusa de le reconnaitre et accusa le SDLP (Social Democrat and Labour Party), parti nationaliste modéré, de trahison envers sa communauté pour avoir accepté de participer à une institution britannique. De leur côté, les travailleurs unionistes, encouragés par les politiciens protestants intransigeants, déclenchèrent une grève qui paralysa l’état et entraina la chute du nouveau parlement. En raison de l’échec de leur solution politique, l’option militaire redevenait le seul moyen pour les Britanniques de résoudre le conflit à court ou moyen terme.

 Infiltrée à tous les échelons, l’IRA n’était plus l’ombre d’elle-même à la fin des années 1980.  Les dirigeants cherchaient un moyen de mettre fin au conflit, mais savaient que sans l’aide des Britanniques ils ne réussiraient pas à faire accepter à la base la fin de la lutte armée.  L’occasion se représentait pour relancer l’idée d’une résolution politique au conflit.  Il ne faut pas oublier que depuis la grève de la faim de 1981, les républicains s’étaient lancés dans l’arène politique en présentant des candidats du Sinn Féin aux différentes élections.  Le fruit était mûr, les Britanniques le savaient.  Cette fois-ci, ils n’allaient pas reproduire la même erreur qu’en 1974.   Les dirigeants de l’IRA allaient être présents aux négociations de paix. Cependant, très rapidement ces derniers comprirent qu’ils ne pourraient s’assoir à la table des négociations, sans faire des concessions importantes. Ils devaient ni plus ni moins accepter la solution des Britanniques de 1974 et, par le fait même, abandonner l’essentiel des principes pour lesquels ils s’étaient battus.   Depuis ce temps, les dirigeants républicains doublent d’ardeur pour faire passer une défaite pour une victoire. D’ailleurs, le SDLP se fera un plaisir de faire remarquer les similitudes importantes entre les accords de Sunningdale et du Vendredi saint en qualifiant ces derniers de « Sunningdale pour ceux qui ont des problèmes d’apprentissage » (Sunningdale for slow learners).   Aujourd’hui, après 30 ans du conflit qui a couté la vie à plus de 3 600 personnes, l’Irlande du Nord est toujours britannique et le demeurera longtemps. Faire ce constat n’est pas populaire aujourd’hui, mais affirmer le contraire sert peut-être des intérêts politiques, mais dessert la vérité historique.  

Puplié dans le Devoir, 9 juillet 2012